Toute la culture 18 juin 2017 Par Yaël Hirsch « Fall, Fell, Fallen » : du cirque sur le fil du son au Printemps des Comédiens

Duo d’un compositeur/ingénieur du son et d’un circassien, le Lonely Circus investit les jardins du Domaine d’O pendant le Printemps des Comédiens pour interroger avec Fall, Fell, Fallen, le lien entre son et mouvements.
Dans le duo du Lonely Circus, il y a l’acrobate, circassien, et fildeferiste Sébastien Le Guen, aussi à l’aise en costume du soir par 30° qu’en mini-short de bain à nager dans une flaque d’eau millimétrique. Et puis il y a l’expérimentateur musicien fanatique d’électro et de messages un peu surréalistes, Jérôme Hoffmann. Sur scène, ils ne font pas que cohabiter, l’un mixant pendant que l’autre tient en équilibre sur des morceaux de bois entassés. Il jouent aussi de la musique ensemble, les pieds de Le Guen produisant des sons repris, amplifiés et sublimés par Hoffmann.

Le summum de ce spectacle joyeux où sons et mouvements se répondent est le moment -qui vient deux fois- où le son vient directement du fil tendu, sur lequel ou autour duquel le circassien se meut. Une proposition à la fois pointue et ouverte à tous qu’on aurait aimé encore plus concentrée sur le dialogue performatif entre sons, équilibre et gestes.

ArtsHub, Sydney, 01 2016 :

The Lonely Circus production of Fall Fell Fallen has a twist. It’s not the lone tightroper, and it’s not the experimental music accompaniment. It’s Acrobat Sébastien Le Guen falling. A lot. He doesn’t hurt himself or anything. It’s not exactly for the epic fail crowd, though it does disarm with the same gravitational force.Thankfully, he doesn’t always fall, and I wanted him to succeed. Partly to see him do things I can’t do, like turning a tightrope into a psychedelic guitar string, or using lumber for a demonstration of impressive balance, strength and physical humour. Partly, I was charmed by his embarrassment when a bead of sweat falls from his forehead as he toes that next piece of wood, or by the way he obstinately straightens his coat after he fails.
These characterisations take us into the realm of theatre. There is little narrative-arc to speak of, apart from Le Guen removing that coat and then most of his other clothes. But a falling character, as opposed to a mediocre acrobat, creates an emotional investment in his failure and in his success.
That is complemented by Jérôme Hoffman – a mad scientist hairdo sitting at an organ of rods and oscilloscopes. A large piece of foil expanding in a bowl creates a very suspenseful crinkle.  There are a few distorted bars of The Blue Danube, but the melody never quite gets off the ground.
This fatalistic gimmick has contradictory purposes. A musician, traditionally, seeks to create a sustained melody. A tightrope walker falls unintentionally – aspires not to. By pre-empting failure, Hoffman and Le Guen dodge the inherent risk of the entertainer.
As I was leaving the theatre, I heard someone say that the ending was supposed to be more successful than it was. I always want to see a live performance on its best night, whatever that is. For a show about falling, the most interesting night may be the one where the big finale doesn’t really happen.  For a tightrope display, though it may be impressive at times, that is ultimately disappointing.
Fall Fell Fallen was part of the Sydney Festival’s About an Hour program. Its final performance was today. The reviewer attended the performance on Friday, January 22nd.

POLITIS 23 oct 2014, Anais Heluin

Dans Fell fall fallen, Sébastien Le Guen et Jérôme Hoffmann déclinent le motif de l’effondrement. Ils mêlent musique et acrobatie pour dire la beauté tragique de ce risque qui plane sur le circassien.
Décortiquer la chute. Tenter de prévoir sa forme, d’imaginer sa couleur. Lui donner corps pour en faire un ennemi tangible, une vilaine sorcière dans laquelle on pourrait frapper à volonté. Pas par cruauté, juste pour se rassurer un peu, se donner l’illusion de tout maîtriser. Plusieurs créations récentes le prouvent : le cirque contemporain aime à gloser sur le risque qui menace ses interprètes. Dans le Vide, qui a ouvert la saison au Montfort à Paris, Fragan Gehlker et Alexis Auffrey prenaient le Mythe de Sisyphe d’Albert Camus comme prétexte de leur exploration d’un élément présent sous bien des chapiteaux : la corde, en l’occurrence suspendue au plafond. Avec Fell fall fallen, la compagnie Lonely Circus imagine elle aussi un duo explorateur de l’effondrement. Jérôme Hoffmann y compose une partition aussi fragile que les acrobaties de son comparse, le fildefériste Sébastien Le Guen. Comme si l’échec du corps ne prenait tout son sens que dans un dialogue avec la discipline la moins physique des arts vivants : la musique. Fell fall fallen est d’ailleurs qualifié par la compagnie de « cirque électro ».
Du début à la fin, Sébastien Le Guen s’applique à tomber des différents agrès qu’il utilise. Planches, bastaings de bois et slackline (sangle à cliquet) sonorisée sont pour le circassien des instruments à transe et à dégringolade. Car à force de se casser la figure avec sur les lèvres un sourire de Sisyphe, il finit par « tomber » dans une transe qui se passe d’autant mieux de mots que la musique de Jérôme Hoffmann y répond avec la grâce précaire qui convient. Aux agrès tout simples, presque bruts, du fildefériste font écho les instruments bricolés du musicien, qui cherche à se rapprocher au plus près de l’état de jeu de l’artiste de cirque. Depuisle Poids de la peau (2008), Jérôme Hoffmann travaille en duo avec Sébastien Le Guen. Dans cette création, il captait les rythmes et les sons du girafon, un agrès monumental (fil qui tourne et bascule sur son axe en fonction des mouvements et déséquilibres de l’artiste) conçu par la compagnie Lonely Circus et sur lequel évoluait Sébastien Le Guen. Dans Fell fall fallen, le musicien ne se contente plus d’enregistrer les sons du risque pris par l’acrobate. En créant des instruments qu’il nomme « agrès musicaux », il se met lui-même en danger. Se hasarde à détourner divers objets pour en tirer de la musique, ou plutôt une enfilade de bruits en accord avec les gestes de l’acrobate. Au milieu d’un grand désordre où l’on distingue une platine vinyle transformée en boîte à rythmes bancale, de hautes tiges de métal, un tas de boulons, un violon et un ordinateur, le musicien se démène. À sa manière, il se vautre. Se relève pour s’aplatir encore, dans une bonne humeur égale à celle de son acolyte, plus souvent à terre que dans les airs. Dans ses gammes pas toujours harmonieuses, un peu grinçantes, on croit discerner un doute. La musique peut-elle mettre en danger autant que le cirque ?
Michel Leiris se posait la même question quant à la littérature, qu’il souhaitait aussi violente et périlleuse que la tauromachie. L’auteur de l’Âge d’homme (1939) a trouvé sa solution dans l’écriture d’une autobiographie aussi proche que possible de ses obsessions les plus inavouables ; Jérôme Hoffmann l’a trouvée, lui, dans l’improvisation à partir du corps d’un circassien. Lequel, malgré sa frénésie dégringolante, est aussi à l’écoute des étranges mélodies qui occupent sa solitude d’homme penché au-dessus du vide. Son fil, ses planches de bois et surtout son corps sont ses instruments à lui. Il en use de toutes ses forces, parce que réfléchir à la chute ne se fait pas sans sueur ni frissons.